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.Mais je ne crois pas que cette araignée cannibale embêtera qui que ce soit désormais…Derrière lui, le soldat vert qui avait posé la main sur sa blessure était d’une pâleur mortelle.Du pus coulait d’entre ses doigts.— Cet homme a besoin de soins, il faut le ramener au camp, dit Cassiopée.— Pas maintenant, rétorqua Simon.D’abord, les marais…Il fit un signe, et les soldats déposèrent leur caisse, épuisés, las de cette aventure.Ils n’aspiraient qu’à retrouver leurs montures, le fracas des batailles.Une lance.Un cheval.Un Sarrasin et une charge de cavalerie.C’était ça, la vraie vie.Et non de jouer les portefaix dans une jungle empoisonnée, où des araignées de la taille d’un ours menaçaient à chaque pas de vous planter leur dard Dieu sait où.— Ces marais ne sont pas pour toi, lui dit Cassiopée en s’avançant sur le pont.Rentre chez toi.— Tu sais que si je retourne au camp sans toi, ils tueront Emmanuel.Elle parut hésiter.Quels choix avait-elle ? Soit elle cédait, et acceptait d’entrer dans les marais avec Simon.Soit elle courait de l’autre côté du pont de lianes, s’arrangeait pour le faire s’effondrer dans le Nil et y pénétrait seule.Mais Simon lui tendait la main de manière amicale.Un sourire, une chaleur dans le regard animaient son visage de manière nouvelle.Était-il possible qu’il ait à ce point changé ? Elle voulut croire que oui, et s’avança vers lui.— Chienne, siffla-t-il en lui immobilisant le bras.Tu croyais m’échapper ?De nouveau, ses yeux jetaient des éclairs de folie.— Enfile cette armure !Les soldats indemnes la menacèrent de leur épée, tandis que le blessé ouvrait la caisse où se trouvait l’armure de Cassiopée.— Ne nous fais pas attendre, ajouta Simon.Ces hommes sont épuisés, et ils n’ont qu’une envie : venger la mort de leur frère, mangé par la Reine Blanche.62.« Il va dans le marais qui a nom Styx ; le sinistre ruisseau, quand il arrive au pied des affreuses berges grises.Et moi qui regardais très fixement, je vis des gens boueux dans le marais, tout nus, et à l’esprit meurtri.»(DANTE, L’Enfer.)À l’intérieur de l’armure, un étrange système permettait de respirer.La buée qui se formait dans sa visière était régulièrement balayée par une arrivée d’air à l’odeur de vase, que Cassiopée inspirait avec des haut-le-cœur.Elle avançait dans les marais à pas lents et lourds.Ses chausses de métal plongeaient dans une eau morte, troublant la fine pellicule mordorée que la lune plaquait sur tout le marécage – des végétaux qui affleuraient au fil de l’eau jusqu’aux hautes murailles de végétaux tressés.Tout autour d’elle, des restes de vapeur prolongeaient la rumeur du Nil – qui s’était tue depuis longtemps.« Par où faut-il aller ? » se demanda-t-elle.« Taqi va-t-il revenir pour me guider ? » Mais où qu’elle porte le regard, ce n’était que parodies d’arbres aux racines convulsées.Tout était grand, éternel, immuable.Silencieux.Elle sentit qu’on lui tapotait l’épaule.C’était Simon.De sa main gantée de rouge, il lui montra des formes accroupies dans la vase, autour desquelles des mouches bombinaient.C’étaient des choses grises avec un écho d’êtres humains, recroquevillées, allongées ou assises au milieu des marais, agrippées à la terre, et voilées de pénombre.Elles présentaient toutes les attitudes de l’agonie, de la souffrance, du désespoir.Gargano avait mis en garde Cassiopée : « Une fois dans les marais, n’enlève jamais ton armure où tu deviendras comme elles.»Dans cette crypte végétale que la putréfaction des pénitents emplissait de vapeurs cruelles errait une âme en peine : la tante de Cassiopée.Grâce à elle, Cassiopée espérait accéder au passé de Morgennes, voire à son père lui-même, si comme elle le croyait sa tante était capable de parler aux morts.Elle n’aurait pas été étonnée d’apprendre que dans ces marais coulait l’un des cinq fleuves des Enfers : le Léthé, dont les eaux noires volaient les souvenirs de ceux qui s’y désaltéraient.Ce fleuve condamnait à une errance éternelle les âmes des malheureux qui effleuraient ses ondes, les transformant en spectres sans passé ni futur, coincés dans un éternel présent – un terrifiant purgatorium.Pourquoi sa tante se trouvait-elle ici ? Était-elle l’une des gardiennes des Enfers ? Ou bien était-elle parvenue, par Dieu sait quel sortilège, à résister aux maléfices du Léthé ?Emmanuel lui avait déjà raconté sa propre résurrection, dans l’oasis des Moniales, et la façon dont il avait retrouvé Guillaume de Tyr, transformé en arbre…Soudain, Simon s’arrêta de marcher.Il s’appuya contre un tronc, comme pour reprendre son souffle [ Pobierz całość w formacie PDF ]